Quelques lectures...

Je vous propose ici quelques comptes rendus et commentaires d'ouvrages (recueils, essais, biographies) en lien avec le thème de la poésie.

Les Poètes fantaisistes, anthologie présentée par Michel Decaudin (1982)

Voilà une intéressante introduction à cette tendance de la poésie française, qui n’est pas un mouvement (puisque ses représentants n’ont jamais rédigé de manifeste commun) mais un regroupement temporaire et informel de plusieurs poètes provinciaux unis par une même sensibilité poétique.

 

L’auteur, après avoir résumé l’esprit des poètes fantaisistes, nous propose un choix de poèmes tirés de l’œuvre de ses plus éminents contributeurs.

 

Née vers 1907-1908, autour du grand animateur qu’est Francis Carco, et commençant à connaître quelque retentissement à la veille de la Première Guerre Mondiale, cette tendance ne survivra ni à la guerre, ni à l’essor du Surréalisme.

 

Du point de vue de la forme, les poèmes des fantaisistes se caractérisent en général par le goût de la brièveté : les pièces de vers qu’ils produisent sont très souvent composées d’octosyllabes, d’hexasyllabes – et, quand il s’agit d’alexandrins, les poèmes n’en comptent généralement pas plus d’une quinzaine – mais aussi par un travail de la rime et une recherche particulière de la musicalité (à cet égard, les « contrerimes » popularisées par Toulet les ont fortement influencés) qui les conduiront à l’intéressante pratique de la contre-assonance :

 

Lisons cet extrait d’un poème de Tristan Derème :

 

– Ami, pourquoi cette colère

 

Et ces grincements de la lyre ?

 

 

– Je t’écoute, Muse, qui parles

 

De tubéreuses et de perles

 

 

Et conseilles que je profite

 

Du monde comme d’une fête.

 

 

On a coutume de dire que le ton de ces poèmes est doux-amer ; souvent leurs auteurs adoptent une attitude hédoniste, invitant chacun à jouir de la vie malgré ses drames. Dans leurs vers, on se méfie de la sensiblerie et, dès qu’on menace de s’y précipiter, on rit en devenant narquois, moqueur, ironique. L’amour de la liberté, le monde interlope des troquets où l’on boit et fume trop, Montmartre, le goût des amours faciles et bohèmes, l’attention portée aux spectacles simples de l’existence, voilà autant d’aspects qui caractérisent leur inspiration.

 

Si la plupart de ses représentants (Jean-Jacques Bernard, Léon Vérane, Jean Pellerin…) sont aujourd’hui tout à fait oubliés – et je dois reconnaître que l’œuvre poétique des susnommés ne mérite probablement pas l’immortalité –, quelques figures notables se dégagent de ce groupe et sont parvenues, à juste titre cette fois, à faire entendre encore aujourd’hui le son de leur lyre : il s’agit d’abord de celui qui fut salué comme un maître par ses pairs, Paul-Jean Toulet, rendu fameux par ses Contrerimes ; de Francis Carco, qui fut aussi romancier et jouira bientôt de la reconnaissance officielle en siégeant à l’Académie Goncourt ; de Tristan Derème, disparu trop vite, pour lequel j’ai une admiration toute particulière, mêlée de tendresse et d’estime.

 

Je laisse le lecteur juger de la qualité du poème suivant :

 

 

Quand tu m'auras quitté (ne lève pas les bras),

 

Quand tu m'auras quitté, car tu me quitteras,

 

Je n'irai plus chercher d'œillets chez la fleuriste.

 

Je demeurerai seul avec mon rêve triste.

 

Et je dirai : « Voilà la chambre où tu te plus,

 

Et voici le miroir qui ne te verra plus,

 

La table d'acajou, le canapé, le pouf, le

 

Tabouret où le soir tu posais ta pantoufle.

 

Ô golfe calme, où le bonheur était ancré ! ... »

 

Et quelquefois amèrement je sourirai,

 

En feuilletant mon vieux Racine aux coins de cuivre,

 

Des pantins que tu fis dans les marges du livre.

 

 

 

Tristan Derème, La verdure dorée, XV

 

© Eric Dargenton

 


Lettres à un jeune poète ; Rainer Maria Rilke (1929)

Qui nourrit quelque prétention littéraire, qui s’interroge sur le bienfondé de cette prétention, doit absolument lire ce livre. Or j’avoue honteusement ne l’avoir lu qu’une fois et très tardivement : c’était il y a deux ans. J’en avais, avant de l’ouvrir, une idée tronquée.  Je croyais jusque-là à une œuvre fictionnelle, à un échange épistolaire imaginaire, peut-être un brin austère, inventé par Rilke afin d’y faire passer ses idées en matière de procédés littéraires, d’inspiration, de techniques d’écriture… Je croyais y trouver des énonciations de dogmes et des analyses. Il n’en est rien.

 

Ce livre, publié quelques années après la mort de Rilke, est devenu rapidement un classique. Rilke n’a jamais imaginé un tel ouvrage, et il a été publié par un homme resté relativement obscur, après la mort du poète, sans qu’il sût jamais rien de ce projet.  Il s’agit en fait du recueil de dix lettres envoyées à l’aube du XXème siècle – sur une période allant de 1903 à 1908 – par l’auteur autrichien à un jeune élève-officier, nommé Kappus, qui se piquait d’écriture poétique, et qui était en quête de conseils.  Rilke, qui n’a pas trente ans lors du premier envoi, répond avec la plus grande amabilité et le désintéressement le plus complet à un jeune homme inconnu qui s’interroge sur sa vocation.

 

Tout de suite, le poète écarte tout conseil purement technique, jugé finalement inutile, et même hors sujet ; et les questions liées à l’écriture elle-même sont rapidement dépassées pour porter la réflexion sur des préoccupations plus vastes, plus philosophiques, et les rapports entre l’art et la vie, l’amour, la mort, Dieu, sont questionnés au fil de la correspondance.

 

Il s’agit d’un enseignement et non d’une critique.

 

Quand Kappus s’adresse à lui, Rilke estencore un jeune homme, mais il a déjà beaucoup publié, et il est célèbre. Rilke est un être angoissé : d’extraction paysanne, il s’invente une lignée aristocratique. Il devient un temps secrétaire de Rodin. Il a connu Tolstoï. Il voyage beaucoup et vit des années à Paris. Il mourra prématurément d’une leucémie en 1926. Ainsi fait-il déjà figure de « maître » pour l’apprenti-poète.

 

Dans son esprit, le poète véritable mène une existence où se mêlent constamment et intimement art et quotidien. La première question que, selon Rilke, tout écrivaillon doit se poser est la suivante : Pourrais-je continuer de vivre si je n’écrivais plus ? Pour Rilke, est poète celui qui ne peut faire autrement que l’être ; celui qui sent qu’écrire lui est une chose nécessaire, essentielle, vitale. Une fois cette certitude acquise et comprise, le poète doit se bâtir un univers avec tout ce qui lui est propre, ses souvenirs, son passé, l’existence qu’il mène. C’est là ce qui doit s’imposer naturellement à lui comme matière de travail, c’est là ce qui, du fait de sa spontanéité, de sa simplicité, de son authenticité, n’a guère besoin d’être proposé à la critique.

 

Le grand effort à fournir consiste en un retournement vers soi, vers son for-intérieur, et non vers l’extérieur : l’avis d’autrui, la critique, les éditeurs, les revues, sont nettement secondaires. Rilke conseille en effet de négliger les analyses critiques et esthétiques, dont il se méfie ; l’artiste est celui qui ne se laisse bousculer par rien, et qui, surtout, ne précipite rien. Il doit avoir confiance en la lente maturation de ses idées, goûts et sentiments. L’artiste est celui qui patiente.

 

Cette lente maturation ne peut s’opérer qu’en éprouvant l’expérience de la solitude : l’artiste est seul. Rilke y insiste.

 

La première lettre, qui est donc la première réponse à Kappus, nous éclaire et constitue une sorte d’introduction aux idées de Rilke sur le sujet.

 

On peut y lire :

 

Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité. Votre vie, jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide, doit devenir signe et témoin d’une telle poussée.

 

Et tout cela est dit dans une prose très élégante, chaleureuse, bienveillante.

 

Voilà un livre dont l’écho se fera longtemps entendre dans l’esprit du lecteur qui s’essaye également à des travaux d’écriture.

 

© E. D.


Robert Desnos, le roman d'une vie ; Dominique Desanti (1999)

 

Depuis quelque temps déjà, les vers d’Aragon mis en musique et chantés par Jean Ferrat m’accompagnent quotidiennement. Parmi les poèmes en question, il en est un que j’ai découvert tardivement ; il s’agit de La complainte de Robert le Diable. Dans ce beau texte, Aragon rend superbement hommage à un poète qu’il a beaucoup connu durant les années 1920-1930, Robert Desnos, qui fut un des premiers et des plus fervents représentants du Surréalisme, mort en déportation.

 

Lisons une strophe dudit poème :

 

 

 

 

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne

 

Comme un soir en dormant tu nous en fis récit

 

Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie

 

Là-bas où le destin de notre siècle saigne

 

 

 

Ces vers, qui me trottent dans la tête, m’ont poussé à me renseigner davantage sur la vie de celui dont je ne connaissais que deux ou trois poèmes – et encore, vaguement.

 

 

L’autrice du livre chroniqué ici, Dominique Desanti – morte presque centenaire –, a fréquenté le poète durant les dernières années de sa vie.

 

Dans son ouvrage, elle redessine les contours de son existence, et restitue tout l’homme, aidée en cela par ses propres souvenirs complétés par les souvenirs de celles et ceux qui ont fait partie de son entourage. Il ne s’agit pourtant pas d’une hagiographie mais d’une biographie quelque peu romancée.

 

Voilà un homme dont j’aurais aimé être l’ami !

 

 

Desnos, né dans un milieu populaire, autodidacte, qui fut le type même du pierrot parisien, est parvenu à s’immiscer dans le milieu fermé des dadaïstes de Tzara et Breton, au moment même où le groupe explose sous l’impulsion du second qui va rassembler autour de lui ceux qu’on appellera désormais les Surréalistes, et duquel Desnos, après en avoir été le porte-voix, l’interprète médiumnique, sera contraint de s’éloigner après son refus d’adhérer au communisme stalinien.

 

En effet, Desnos fut toute sa vie méfiant envers les dogmes et viscéralement attaché au sentiment de liberté. Il disait :

 

 

« J’ai toujours été, je serai jusqu’au bout l’amant fou de la liberté. » (cité par l’autrice)

 

 

Mais, plus que le poète, c’est l’homme Desnos, myope, mais aux yeux très clairs et demi clos sous les paupières, au regard fascinant, épris de boisson, facilement amical, vivant la plus grande partie de sa vie dans la dèche, qui m’intrigue, m’intéresse, m’émeut.

 

On voit passer du monde et du beau monde dans la vie de Desnos : les écrivains Breton (d’ailleurs tyrannique, ambigu et capricieux), Aragon, Eluard, Artaud…, le photographe Man Ray, les peintes Masson, Foujita ou Max Ernst, le musicien Darius Milhaud, le comédien Jean-Louis Barrault, et un tas d’autres artistes moins connus ou simplement oubliés. Sans oublier les deux passions de Desnos, l’une malheureuse et impossible : la chanteuse Yvonne ; l’autre, Youki, assouvie sans être tout à fait tranquille.

 

 

Les drogues et alcools de toutes sortes, les poètes, les chanteuses, les journalistes, le Paris populaire des Halles, le Paris artiste de Montmartre et de Montparnasse, le Paris canaille des bordels et des troquets, puis le Paris de l’Occupation : voilà tout l’univers dont Robert Desnos, mort à 45 ans, fut l’une des étoiles filantes.

 

Le livre se lit très facilement ; le style est chaleureux ; on y sent tout l’amour, survivant aux décennies écoulées, que l’autrice nourrit pour son personnage. Les deux derniers chapitres, qui retracent les pérégrinations du poète-résistant dans les bagnes nazis, sont bouleversants. L’agonie de Desnos, mort du typhus à Teresin, toujours vêtu du loqueteux pyjama rayé, quelques semaines seulement après la Libération (il eut donc la consolation de voir la paix conclue) est à ce titre inoubliable : il a passé ses dernières heures à regarder se faner une fleur d’églantier sur sa poitrine, et l’on incinéra la fleur avec le poète.

 

 

Il existe une photographie de Desnos, figé dans l’univers concentrationnaire, prise dans les derniers jours – peut-être les dernières heures – de son existence : le poète y figure visiblement diminué, en habit de déporté, le crâne tondu, les joues creuses, appuyé sur une camarade pour ne pas s’écrouler… Comme il était déjà loin le gai temps des farces surréalistes ! Rarement un cliché m’a autant ému.

 

 

Un beau livre.

 

 

© E. D.

 


La chanson des gueux ; Jean Richepin (1876-1881)

 

Jean Richepin fut le contemporain de Verlaine et Rimbaud et, s’il n’a pas atteint leur notoriété, c’est peut-être parce qu’il eut, si je puis dire, la malchance de connaître un succès véritable de son vivant et de mourir à un âge avancé.

 

Richepin fut un lettré brillant et même savant : s’il connaissant parfaitement le latin et le grec, l’argot parisien fut pour lui comme une seconde langue maternelle. Ce fils de petit-bourgeois rechercha durant sa jeunesse le scandale et se plut aux fréquentations des milieux interlopes. Cela ne l’empêcha pas de mourir notable, académicien et quasiment châtelain.

 

La « Chanson des gueux » est sans doute son œuvre la plus mémorable.

 

 

Dans ce recueil de Richepin – cette apparence de brute capable d’une grande distinction –  on ne croise guère de fraîche et parfumée jeune fille, de bourgeois suffisant et ventru, d’aristocrate guindé, ; ce n’est pas même le peuple qui est là, c’est la populace, la tourbe où s’agitent le chemineau, le vieux mendiant, l’ivrogne, le souteneur, l’enfant vagabond… C’est à l’extrême marge de la société que le poète prête sa voix. Ainsi, le pauvre pêcheur à la ligne, le joueur d’orgue de barbarie, l’oisif décomplexé, et même les chiens errants, sont-ils jugés dignes d’être célébrés en vers.

 

Et voilà le mérite essentiel de l’ouvrage, à mes yeux : le miséreux jeté soudain en pleine lumière.

 

Dans la seconde moitié du XIX è. S., un personnage tout nouveau a fait son entrée sur la scène littéraire : le pauvre. S’il a dit ses premiers mots chez V. Hugo ou E. Sue, il a commencé véritablement à parler avec Zola, et, dans l’œuvre de Richepin, voilà qu’il chante.

 

On a peine à mesurer, aujourd’hui, ce qu’il y avait de scandaleux dans cette large médiatisation de la misère, toujours associée, dans l’esprit bourgeois de cette époque, aux vices les plus dégradants.

 

 

Le recueil est aussi un document : on y apprend l’existence de petits métiers disparus, des mœurs particulières à l’époque, et une foule de mots d’argot aujourd’hui oubliés. Ainsi apprend-on, par exemple, que les chaises disposées dans les jardins publics étaient payantes, qu’il existait un métier consistant à trimballer sur son dos un fardeau de glace pour proposer aux passants, à la cantonade, un verre d’eau fraîche contre quelques sous, ou que le mot « daronne », qui désigne la mère, se disait déjà en 1880. Nombre de mots d’argots nous semblent tout à fait exotiques et obscurs, en 2019, et leur lecture dut indigner M. Prudhomme.

 

Certaines pièces de vers reflètent la grande sensibilité de leur auteur ; la plupart sont émouvantes.

 

 

Du point de vue de la forme, quelques textes relèvent du classique le plus éprouvé. D’autres délaissent au contraire les contraintes les plus exigeantes de la prosodie pour épouser le langage et l’état d’esprit du petit peuple, et, composés tout en argot, sont semés d’hiatus et d’apocopes.

 

 

 

Extraits :

 

 

Sonnet consolant

 

 

 

Malheur aux pauvres ! C'est l'argent qui rend heureux.

 

Les riches ont la force, et la gloire et la joie.

 

Sur leur nez orgueilleux c'est leur or qui rougeoie.

 

L'or mettrait du soleil même au front d'un lépreux.

 

 

 

Ils ont tout : les bons plats, les vieux vins généreux,

 

Les bijoux, les chevaux, le luxe qui flamboie,

 

Et les belles putains aux cuirasses de soie

 

Dont les seins provocants ne sont nus que pour eux.

 

 

 

Bah ! Les pauvres, malgré la misère sans trêves,

 

Ont aussi leurs trésors : les chansons et les rêves.

 

Ce peu-là leur suffit pour rire quelquefois.

 

 

 

J'en sais qui sont heureux, et qui n'ont pour fortune

 

Que ces louis d'un jour nommés les fleurs des bois

 

Et cet écu rogné qu'on appelle la lune.

 

 

 

Autre sonnet bigorne (argot moderne)

 

 

 

J‘ai fait chibis. J’avais la frousse

 

Des préfectanciers de Pantin.

 

À Pantin, mince de potin !

 

On y connaît ma gargarousse,

 

 

 

Ma fiole, mon pif qui retrousse,

 

Mes calots de mec au gratin.

 

Après mon dernier barbotin

 

J‘ai flasqué du poivre à la rousse.

 

 

 

Elle ira de turne en garno,

 

De Ménilmuche à Montparno,

 

Sans pouvoir remoucher mon gniasse.

 

 

 

Je me camoufle en pélican.

 

J’ai du pellard à la tignasse.

 

Vive la lampagne du cam !

 

 

 

© E. D.

 


La poésie sauvera le monde ; Jean-Pierre Siméon (2017)

 

Jean-Pierre Siméon, né en 1950, est un poète de premier plan. Auteur prolifique de recueils de poèmes et de pièces de théâtre, ce merveilleux praticien du vers libre a fait de sa passion un engagement : durant une vingtaine d'années, il a été directeur du Printemps des poètes.

 

 

Dans l’essai intitulé « La poésie sauvera le monde », l’auteur défend avec conviction la place que devrait occuper la poésie dans notre société.

 

 

Siméon commence par critiquer le goût actuel pour le morbide, les sujets scabreux, noirs, parfois traités dans des formes qui économisent trop les mots, volontiers obscures… réflexes qui pour lui relèvent d’un certain académisme, de sujets obligés, d’un consensus, donc d’une fausse liberté servie par nombre de ceux qu’il appelle les poètes antipoètes contemporains. Siméon leur reproche surtout de s’acharner à prouver l’inhumanité de l’homme, alors que la poésie, sans céder aux niaiseries, doit sans cesse revendiquer son humanité et le lien réaffirmé du poète avec son temps et ses pairs.

 

Plus loin, l’auteur explique que la marginalisation du poème dans l’espace politico-médiatique ─ il est vrai qu’elle a trouvé son dernier refuge sur les ondes, et d’abord sur France Culture, ignorée du grand public ─ est due en partie à la suprématie du roman dans la littérature. Le roman a supplanté tous les autres genres littéraires. Il a les faveurs de l’édition comme de la presse spécialisée. En outre, en fait de roman, le genre se réduit à l’écriture d’histoires qui relèvent aujourd’hui davantage du scenario que de la littérature, et les romans médiocres abondent et sont plébiscités. Ainsi amoindri, le roman, tel qu’il triomphe aujourd’hui, n’est plus qu’« un maigre résumé stéréotypé de faits ou de séquences de vie » Ces scenarii présentent des réalités consensuelles, où le sens est limité, où l’imaginaire est annihilé par l’imaginé.

 

 

Ce constat peut être corrélé avec un autre : la quête permanente de nos semblables est celle du divertissement. Le divertissement envahit toute la sphère sociale, et cette invasion s’opère en premier lieu via l’image. Relayée et multidiffusée par l’information en continu, les écrans, fixes ou nomades, la publicité, les jeux vidéo ou le cinéma, mais aussi l’art contemporain, l’image prime le mot. L’art contemporain, en particulier, en organisant des performances, des œuvres destinées à frapper le public par leur singularité, participent à la tyrannie du spectaculaire à tout prix, enflure du divertissement qui nous submerge. Or, là où, comme je le disais, l’image prime le mot, la poésie ne peut germer, car l’image consiste en la représentation première, facile, directe, visuelle et non intellectuelle, du réel. La poésie, texte fait de mots (eux-mêmes suscitant sensations et idées) recueillis dans le temps et le silence, dont la lecture nécessite également un temps indéfini, est empêchée par cette surenchère du visuel. Le réel en question, en outre, est limité par les images dont elles sont une lecture qui se veut définitive, tandis que la poésie cherche à représenter ce qui existe aussi au-delà du visible immédiat.

 

Dans cet espace, dans un premier temps rendu étriqué par la surabondance romanesque, puis inaccessible par le règne despotique de l’image, la poésie, dont l’abord est possible si l’on consent à être exigeant avec soi-même, qui ne peut être narrative, qui propose d’autres lectures du sens, qui échappe au consensus, n’est donc pas médiatisée.

 

 

Qu’on me permette ici un aparté. Siméon rejoint sur ces deux points exactement l’opinion et les lamentations d’un autre écrivain français contemporain, pourtant situé aux antipodes de ses idées socio-politiques : je veux parler de Richard Millet. Critiquer la médiocrité des productions littéraires à succès, ce n’est donc pas agir en réactionnaire, puisque deux écrivains, si opposés, se rejoignent ici. C’est simplement étudier froidement une situation. Enfin peut-on établir une dernière passerelle entre les idées de chacun d’entre eux en remarquant que, comme Millet, Siméon regrette l’immixtion d’expression venues de l’anglais dans la langue française, vécue comme une maladie qui affaiblit notre langue. Il parle de « langue d’occupation » de la langue nationale. Il y voit un danger pour la poésie puisque la langue est l’instrument premier du poète. Siméon regrette qu’il s’agisse ici, dans la pratique courante qu’on en fait, d’un anglais émondé, lissé, abâtardi, ayant pour vocation de tout simplifier, langue et pensée, et donc d’annuler la richesse du français qu’il investit.

 

 

Pour l’auteur, un poème est une manifestation sceptique : ce doit être la remise en cause des idées arrêtées, appartenant au bien comme au mal, une contestation de tout ce qui limite la compréhension pleine et entière du réel, un refus des brides dont on afflige le sens :

 

 

« Tout poème est un démenti à la donnée immédiate et objective puisqu’il se donne pour fonction de rendre sensible, donc perceptible, ce que l’évidence obnubile. […] Disons : la poésie illimite le réel, elle rend justice à sa profondeur insolvable, à la prolifération infinie des sens qu’il recèle. »

 

 

Le poème est donc le révélateur qui multiplie les sens. Ainsi prouve-t-il la richesse de l’être humain et la complexité du monde où il vit. Le poète est celui qui dépasse, surpasse même, le sens immédiat des mots et des choses. En déconsidérant le poète et sa création, on œuvre à la suprématie de la dénomination consensuelle et ordinaire du réel ; c’est une porte qu’on ouvre sur la simplification ─ et partant la falsification ─, du monde qui nous environne.

 

Siméon croit au pouvoir du poème en tant que « puissance d’objection radicale ». Multiplicateur de sens, le poème invite le lecteur à devenir le « co-créateur » de son œuvre. L’invitation à entrer dans la polysémie des mots du poète stimule l’intelligence du lecteur face au poème, donc face au monde. Et il semble y avoir urgence à encourager chacun à refuser l’unique sens des choses imposé par notre environnement. Siméon, qui anime des ateliers d’écriture et intervient souvent auprès des jeunes publics, déplore l’incapacité notoire des enfants à faire preuve d’une imagination qui ne soit pas directement issue de la télévision, d’un jeu vidéo, d’images véhiculées par les médias.  L’originalité semble être en péril, d’où l’importance de la métaphore, cultivée par tout poète digne de ce nom, de sa recherche, de son travail : il s’agit d’aller à l’encontre des images habituelles qui saturent nos esprits.  En cela, la poésie est une forme salvatrice de résistance intérieure.

 

 

Les outils nécessaires à l’écriture d’un poème sont détenus par chacun d’entre nous : patience, silence, lenteur. Un poème n’est pas le fruit d’une pratique élitaire non plus qu’une jolie activité respectable, c’est une volonté de libération de la langue, un moyen d’expression hors des conventions du langage. Le poème est le lieu où la conscience agit. La poésie n’est donc pas une pratique innocente ; son rôle social est immense :

 

 

« Je me permettrai ce syllogisme : la lecture active du poème ouvre et libère la conscience. Or la conscience libre fait le citoyen libre. Donc la poésie est la condition d’une cité libre. »

 

 

Le poème est aussi affaire de sensation. C’est un rappel sensitif du rapport de l’homme à son environnement.  Il nous replace sans cesse au sein de notre humanité. « Nous ne sommes rien, dit le poème, que notre relation émue à l’autre, fut-il arbre ou visage. »

 

 

Ce propos rejoint ce que disait, il y a plus de 150 ans, Lamartine dans un essai de définition de la poésie qui m’est cher et, personnellement, par sa clarté et son ampleur embrassée en quelques lignes, me satisfait pleinement :

 

 

Comme tout ce qui est divin en nous, cela ne peut se définir par un mot ni par mille. C’est l’incarnation de ce que l’homme a de plus intime dans le cœur et de plus divin dans la pensée, dans ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons ! C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière ; et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! Voilà pourquoi cette langue, quand elle est bien parlée, foudroie l’homme comme la foudre, et l’anéantit de conviction intérieure et d’évidence irréfléchie, ou l’enchante comme un philtre, et le berce immobile et charmé, comme un enfant dans son berceau, aux refrains sympathiques de la voix d’une mère !

 

 

(in "De la poésie", in Œuvres complètes de Lamartine, t. 1)

 

 

Pour conclure, la poésie, selon l’auteur, peut sauver le monde dans la mesure où, jamais dissociable de l’action, elle est une objection permanente aux lectures codifiées, figées, imposées qu’on nous en donne quotidiennement, elle contrarie l’idée d’une vision une et indivisible du monde, elle est aussi un rempart érigé contre la vulgarité, la simplification, la paresse.

 

 

On l’aura compris, ce petit (par le format) livre est une tentative de définition, longue d’une centaine de pages, de la poésie. C’est en même temps un plaidoyer vibrant, positif, confiant, pour la poésie et pour le poète. Très plaisant à lire, il questionne les rapports actuels de la modernité à la pratique de la poésie, explique pourquoi ce genre particulier de la littérature est médiatiquement marginalisé ; il suscite la réflexion, apporte des réponses.

 

 

Un livre lumineux.

 

 

© E. D.

 


Paul Verlaine ; deux études par Stefan Zweig (1905 et 1922)

Zweig est le premier auteur germanophone à consacrer une étude biographique à Verlaine, cela moins de dix ans après la mort du poète. Il a déjà traduit plusieurs poèmes et préfacé une anthologie quelques années auparavant. Après la Première Guerre Mondiale, il publiera encore les Œuvres complètes de Verlaine.

 

Ce petit volume rassemble deux textes consacrés au Pauvre Lélian : le premier, intitulé Paul Verlaine, est daté de 1905 ; le second, La vie de Paul Verlaine, a paru en 1922.

Le premier texte est axé sur la personnalité du poète et l’influence de sa vie sur son œuvre. Le second texte, plus court, relève davantage de la biographie factuelle de l’homme. C’est pour cette raison que nous commencerons par celui-ci.

 

 

 

Zweig commence par démonter un mythe. Verlaine, roi de la bohème et de l’anarchie, qui aurait le goût de la misère et de la vie à la marge, tient davantage de la légende forgée du vivant du poète par ses amis, et aussi par lui-même, que de la réalité de ce que furent cet homme et ses aspirations :

 

 

« toute sa vie, Verlaine a été un bohème récalcitrant, un écrivain dégouté de lui-même, un ivrogne à la détresse lyrique. Trois, quatre, cinq fois, sans relâche il essaie de s’extraire du vert marécage de l’absinthe pour regagner la rive des docilités bourgeoises. »

 

 

C’est son manque de volonté de résister à ses mauvais penchants qui l’ont conduit à sa chute, lente et continue ; il ne put jamais, malgré plusieurs essais, reprendre contact avec la vie tranquille dont il conservera toujours la nostalgie. C’est, pour Zweig, le lot commun à tous les grands artistes : dans la vie de chacun d’eux, qu’ils s’appellent Goethe, Byron, Tolstoï, d’autres encore (on peut ajouter aux noms proposés par l’auteur ceux de Stevenson ou de Jack London), Verlaine y compris, existe un moment clé qui est une rupture avec l’existence menée jusqu’alors, un déchirement violent et irrésistible, qui pousse l’artiste vers une vie tout à fait opposée. Cette fuite sera fatale à Verlaine, esprit trop faible pour en tirer quelque chose de grand et de neuf, et il ne s’en relèvera pas.

 

 

Verlaine naît en 1844 à Metz. Zweig nous dit que le père du poète est lorrain. Faux : il est originaire des Ardennes belges. Jeune homme, ce fils d’officier n’imagine pas pouvoir, comme tous les poètes français jusque-là, rappelle Zweig, vivre uniquement de poésie. Les écrivains français devaient se frotter à tous les genres littéraires, pour espérer en vivre, ou, à défaut, adopter une situation professionnelle. Ainsi Verlaine, très jeune, occupe-t-il un poste à la préfecture qui, étant peu exigeant, lui permet de mener de front emploi et activité littéraire. La mort de son père, en 1865, lui laisse une petite rente. Très tôt, son addiction à l’alcool change cette nature douce, féminine, en brute.  La mort de sa tendre cousine, Elisa, le bouleverse : il passe deux jours entiers à boire, et retourne encore saoul à son bureau… La rencontre avec Mathilde, en qui il reconnait l’incarnation de la pureté, l’adoucit. Redevenu sobre, il lui adresse une cour assidue, bourgeoise et respectueuse. Fiancé, il lui destine les vers de La Bonne Chanson, dont Zweig loue l’éclat. Verlaine se marie rapidement pour éviter la mobilisation de 1870. Louise Michel assiste à la cérémonie. Très vite cependant, Verlaine étouffe, souhaite s’en aller, mais sa faiblesse le retient. Rimbaud (« l’homme démoniaque », écrit Zweig) qui survient lui fait sauter le pas. Rimbaud, par son mépris de tout ce qui est convenable, par sa force, sa virilité, son goût pour la boisson et son génie des vers, arrache son ami à la monotonie tranquille de son existence. En 1872, tous deux s’en vont. Zweig refuse de s’attarder sur la question de la sexualité des deux hommes. A Londres, travaillé par le regret de la vie bourgeoise menée brièvement auprès de Mathilde – regret qui le taraudera tout le reste de son existence –, il quitte son compagnon et retrouve sa mère à Bruxelles. Là, il apprend que Mathilde se ravise et rejette son ivrogne de mari. Verlaine rappelle alors Rimbaud ; une crise de fureur du premier, après que le second lui a demandé de l’argent pour rejoindre Paris, conduit Verlaine à tirer à deux reprises sur Rimbaud. Condamné à deux ans de prison, le « pauvre Lélian » purge sa peine à Mons. C’est le moment de sa conversion au catholicisme et des retrouvailles avec la sérénité. C’est aussi celui de la rédaction des plus beaux recueils dont Sagesse, qui, selon Zweig, fait de Verlaine un « grand poète catholique ». A sa sortie de prison, Verlaine est un homme seul. Mathilde a divorcé, Rimbaud a fui, ses camarades en littérature se détournent de lui. Seule sa mère l’attend. A Stuttgart cependant, Verlaine poursuit Rimbaud et tente de le convertir à son tour. L’épisode est désastreux, et le poète messin, frappé par l’autre à coup de canne, git évanoui sur les quais… Commence alors une existence erratique, à laquelle sa mère (toujours digne et brave) tente de mettre fin en emménageant avec lui. Mais, pris de boisson, son fils la bat et provoque un scandale conclu par un mois de prison. Nous sommes en 1885. A sa sortie, Verlaine ne retrouve plus sa mère, qui l’abandonne, découragée, et meurt bientôt. Le quotidien du poète se partage alors, et jusqu’à la fin, en nuits passées à l’hôpital ou dans un troquet, entouré de profiteurs et de prostituées. Il continue d’écrire, mais de mauvais poèmes. Il monnaye ses dédicaces, raconte sa vie aux journalistes, heureux de leur fournir les articles à sensation qu’ils recherchent. Mais l’heure de la consécration a sonné : une clique d’étudiants et de jeunes littérateurs d’avant-garde le reconnait pour maître et le sacre du beau titre – bien que fictif – de Prince des poètes.  En janvier 1896, il meurt « comme un voyou », précise Zweig, en la compagnie d’une prostituée.

 

L’auteur achève sa brève étude en notant chez Verlaine sa propension à s’auto-narrer, de sorte que ses recueils peuvent être lus comme un cheminement autobiographique. Ses poèmes racontent ce qu’il fut, ce qu’il est. Ce goût pour l’épanchement est, aux yeux de Zweig, un indice de sa faiblesse et de sa féminité.

 

 

***

 

 

Dans Paul Verlaine, Zweig traite, avec la psychologie de l’artiste, les questions de son expression poétique, son inspiration, la manière du poète.

 

L’auteur insiste sur le trait dominant la personnalité de Verlaine : la faiblesse. Verlaine était la faiblesse incarnée. Son œuvre en est l’expression la plus pure. Verlaine fut la voix de sa propre douleur, mais il fut incapable de s’en emparer pour la transfigurer en élan salvateur : il fut toute sa vie le jouet impuissant de ses maux. Son grand mérite est de les avoir traduits admirablement :

 

 

« Les violences confuses qui s’acharnaient sur son existence se fondaient dans son œuvre en cristaux et en essences pures. »

 

 

Verlaine nous apparait comme un être velléitaire, incapable de résister aux tentations sensuelles, déchiré entre volupté et idéalisme, et fatigué de ces éternels allers-retours entre enfer et paradis.

 

Zweig affirme que la naissance de Verlaine à Metz, ses origines lorraines, marquent son expression poétique à un tel point qu’elles l’imprègnent d’un lyrisme tout germanique :

 

 

« Ses origines font de lui un Lorrain, non un Alsacien : suffisamment proche de l’Allemagne, en tout cas, pour porter dans son sang le fruit secret du lyrisme allemand. »

 

 

Théorie contestable à double titre, dans le goût du temps :  un lieu de naissance peut-il influer sur la manière d’écrire ? D’autre part, Verlaine quitta la ville de Metz et la Lorraine dans sa petite enfance. Il fut un Lorrain de hasard comme Victor Hugo, aux vieilles racines lorraines, lui,   fut un Franc-comtois de circonstance. Paul Verlaine ne se souvint de sa terre natale qu’en 1870, lorsque les hordes teutonnes déferlaient sur Metz.  Il y a, de la part de Zweig, une tentative de récupération de Verlaine, une volonté d’en faire un poète plus germanique que véritablement Français, en un temps où l’Alsace-Moselle se trouve annexée au Reich de Guillaume II.

 

 

Zweig n’évoque jamais directement et clairement la sexualité particulière de Verlaine. Elle est pourtant, par insinuation, désignée comme responsable majeure du basculement du jeune homme vers ses mauvais penchants. L’homosexualité est mise en relief par une expression qu’emploie Zweig pour parler de la lune de miel vécue dans un premier temps auprès de Mathilde, en une période encore paisible. Zweig évoque la « sexualité normale » du poète à cette époque. Plus loin, l’auteur ose lever quelques voiles au sujet de la relation entretenue par Verlaine et Rimbaud, dont il rapporte la dimension sexuelle sans pour autant affirmer que le désir a été assouvi. Les deux hommes n’auraient pas, selon lui, sacrifié aux « rites des passions perverses ». Nous savons la vérité.  Il s’empresse ensuite d’évacuer le sujet en disant que creuser la question ne lui semble de toute façon pas d’un intérêt primordial, ce qui présente une contradiction avec l'idée avancée plus haut. Cela dit, la féminité de l’homme est reconnue. Les tares (aux yeux du biographe) du jeune homme ont surgi par étapes : d’abord, c’est le penchant homosexuel que Verlaine découvre durant son adolescence ; puis, au moment de la composition des Fêtes galantes, le goût pour la boisson s’affirme et s’avère très vite néfaste :

 

 

« L’absinthe de Verlaine ne fait que délabrer, éteindre, c’est un poison lent qui ne tue pas, mais épuise, érode, comme ces terribles poudres secrètes des Borgia. »

 

 

Les restes de candeur enfantine meurent à cette époque. Le « cynisme et le vice » triomphent dans le cœur du poète.  Et la violence de l’homme est conditionnée par son alcoolisme ; Verlaine n’est mauvais et brutal que lorsqu’il boit.

La troisième rencontre qui fut fatale à la vie paisible de Verlaine, après sa lubricité et son ivrognerie, s’appelle Arthur Rimbaud. L’auteur voit en Rimbaud l’antithèse absolue de Verlaine. C’est l’incarnation de la virilité et de la force. Une force qui submerge Verlaine.

 

 

L’auteur viennois rend hommage aux deux femmes qui ne cessèrent d’aimer et protéger Verlaine. Sa cousine Elisa – disparue prématurément –, très douce, qui finança l’impression de son premier recueil. « Sa silhouette brille, telle une flamme blanche, dans l’épaisse fumée de son existence. » Et, surtout, sa mère qui ne lui reprocha jamais rien, ni ses débordements d’ivrogne ni les brutalités dont elle fut la victime. 

 

 

Pour Zweig, l’œuvre la plus réussie du poète est le petit recueil de La Bonne chanson, chant d’amour composé en l’honneur de Mathilde. Le poème commencé par les vers suivants : La lune blanche / Luit dans les bois est qualifié de « Miracle de la poésie française ».  Aveu étonnant : j’ai très souvent lu, sous la plume des critiques, que son meilleur recueil était Romances sans paroles, à propos duquel une sorte d’unanimité se manifestait, tandis que La Bonne chanson était généralement jugé un livre mineur dans la production verlainienne – point de vue que je ne partageais pas.  Mais Zweig voit dans le recueil Sagesse, écrit par un poète momentanément assagi, qui cherche à retrouver une paix intérieure, « l’ouvrage le plus remarquable, le plus profond de la poésie française. » Cette période de la conversion de Verlaine au christianisme est l’une des plus calmes de son existence. L’homme entre dans une sincère résipiscence. Mais ses démons s’emparent à nouveau de lui. Verlaine enchaine alors les poèmes d’inspiration religieuse – dans lesquels Zweig discerne un manque d’authenticité – et les poèmes licencieux.  L’abîme duquel on ne sort plus s’ouvre sous ses pieds. Si l’homme rend son dernier soupir en 1896, l’artiste est mort depuis longtemps, nous dit l’auteur. Dans les dernières années de sa vie, Verlaine, célébré par la jeunesse d’avant-garde, est devenu un objet de curiosité pour les journalistes. Il se parodie lui-même, scandalise volontairement le commun pour correspondre à l’image qu’on fabrique de lui, alors qu’il n’aspire en réalité qu’au calme et à la paix de son enfance. Ses dernières publications poétiques transpirent ce manque de sincérité. La médiocrité les caractérise.

 

 

La grandeur poétique de Verlaine réside, selon Zweig, dans sa faculté à traduire musicalement ses états d’âme.  Sa poésie affirme la parenté de la musique et de la poésie. Zweig, au terme de cette étude, s’interroge quant à l’héritage laissé par le poète et se demande si son œuvre est appelée à entrer dans la postérité. Étonnamment – mais il est facile de s’étonner quand l’histoire est faite et prouve le contraire de ce qu’on a cru jadis –, il ne lui accorde pas l’immortalité car Verlaine manque de force et d’originalité. Il célèbre en lui la voix qui s’est élevée pour chanter admirablement les maux et les joies qu’il a connus, joies et maux qui appartiennent aussi à chacun d’entre nous. Son talent a été d’avoir su si bien les interpréter :

 

 

« Dans son humanité, il y avait de la beauté, mais pas de celles qui survivent. Il ne nous a rien donné qui n’eût été en nous : il n’était que le flot de la vie, le sublime écho de cette musique secrète qui s’élève en nous à chaque contact avec les choses, comparable au tintement des verres sur une étagère ébranlée par des chocs et des pas. »

 

 

Zweig, on le sait aujourd’hui, s’est trompé sur ce point.  Interrogez n’importe quel quidam et demandez-lui de citer les noms de trois poètes français : je suis certain que celui de Verlaine sonnera presque toujours parmi ces trois noms-là. Peut-être même plusieurs d'entre nous citeront-ils au moins un vers du poète, un de ceux dont se servit Radio Londres, par exemple.

 

© E. D.


Albertus ; Theophile Gautier (1832)

 

Théophile Gautier (1811-1872), poète, romancier, nouvelliste, critique d’art, mais aussi journaliste, fut de son vivant salué comme un maître et même un chef d’école. Il suffit de se rappeler, pour se convaincre de son influence, la dithyrambique dédicace que lui adresse Baudelaire en tête des Fleurs du Mal :

 

 

« Au poète impeccable / au parfait magicien ès lettres françaises / à mon très cher et très vénéré / maître et ami / Théophile Gautier » 

 

 

En outre, son immense culture, qui allait jusqu’à l’érudition, et son goût prononcé pour la peinture (le poète fut d’abord rapin) ont impressionné même les Goncourt, ordinairement si timorés en fait d’admiration témoignée à leurs pairs, a fortiori vivants.

 

Force est de constater qu’il bascule néanmoins, à mon avis, de plus en plus vers un oubli inquiétant, croulant notamment sous l’abondante bibliographie consacrée à ses contemporains et amis nommés V. Hugo ou Ch. Baudelaire, déjà cité, et souffrant du peu d’intérêt dont jouit aujourd’hui la poésie dans les maisons d’éditions.

 

Les adeptes de poésie dite improprement classique songeront tout de suite, si l’on leur demandait de citer des vers de Gautier, à ses Emaux et camées, sorte de manifeste esthétique de l’art pour l’art prôné par leur auteur. Mais le bon Théo, dans sa jeunesse, commit bien des vers d’un autre type, dont on se souvient peu. 

 

Le recueil intitulé Albertus, composé lorsque Gautier n’avait que 20 ans, en est une remarquable illustration.

 

 

 

A une époque indéterminée, dans un bourg flamand, Véronique, veille femme solitaire et redoutée, laide, mystérieuse, vit dans un taudis en compagnie d’un chat noir. Les gens du cru la disent sorcière ; on l’accuse de tous les malheurs qui accablent la région. Un soir, à minuit, grâce à une formule magique, la veille femme se change en une jeune fille désirable. Puis, de sa baguette, elle touche le félidé qui devient à son tour un magnifique cavalier. Tous deux se rendent à Leyde (Pays-Bas actuels) où, deux mois durant, elle suscite l’admiration de toute la bonne société et la jalousie des dames de qualité. Elle éblouit l’aristocratie locale et accumule, sans les satisfaire, les soupirants qui se battent en duel ou, désespérés, se suicident. Mais un jour, le lecteur la trouve contrariée : la veille, au cours d’une représentation de Don Juan de Mozart, elle a remarqué un jeune homme séduisant qui est resté indifférent à sa fascinante beauté et est demeuré absorbé par la musique. Blessée, Véronique en tombe amoureuse, et jure de le conquérir. Albertus (c’est le nom de l’effronté), jeune homme pessimiste, morose, qui n’a plus aucune illusion sur rien, mais qui a embrassé la carrière de peintre, ne tardera plus à remarquer cette troublante beauté…

 

 

 

Ce très long poème qui mêle tous les genres ─ du tragique au comique, en passant par le romantique ─ tour à tour descriptif et narratif, enfile, selon la même disposition qui se répète d’un bout à l’autre du livre, un chapelet de 122 douzains composés chacun de 11 alexandrins suivis d’un octosyllabe.

 

Le ton de l’ensemble est une parfaite illustration de ce sous-genre du Romantisme appelé Romantisme noir et du goût de ses adeptes. Le poète y alterne allégrement évocations dramatiques, pleines d’images angoissantes, et humour volontiers potache. Ainsi peut-on résumer le style du poème en disant que Gautier s’y amuse à faire peur au lecteur de 1830 qui n’est pas le lecteur blasé des années 2020, dont l’esprit, habitué au morbide, est saturé d’occurrences effrayantes proposées à foison par la publicité, l’industrie cinématographique et, plus largement, le domaine de l’audiovisuel.

 

Suit un exemple de l’alternance légèreté / angoisse qui caractérise une grande partie d’Albertus :

 

 

VI

 

La femme du brasseur Cornelis mit au monde

 

Avant terme, un enfant couvert d’un poil immonde,

 

Et si laid que son père eût voulu le voir mort.

 

 

 

IX

 

Vieux manuscrits ouverts sur un fauteuil bancal,

 

Fœtus mal conservés saisissant d’une lieue

 

L’odorat, et collant leur face jaune et bleue

 

Contre le verre du bocal !

 

 

X

 

Ou les récipients, matras, syphons et pompes,

 

Allongés en phallus ou tortillés en trompes 

 

 

 

Gautier lui-même, pour appuyer sur cet entremêlement de l’effroi et du rire, évoque un double patronage édifiant lorsqu’il peint le logis bizarre de Véronique :

 

 

 

— C’est la réalité des contes fantastiques,

 

C’est le type vivant des songes drolatiques ;

 

C’est Hoffmann, et c’est Rabelais !

 

 

 

On y trouve aussi un clin d’œil volontairement pédant :

 

 

 

L’illustre baronnet sir Walter Scott lui-même

 

(Jedediah Cleishbotham) y puisa plus d’un thème

 

 

 

…au cours duquel le poète accuse (en souriant) le grand romancier écossais (gloire du moment et référence pour beaucoup d’écrivains) de l’avoir plagié !

 

Le poète se permet même, le temps de 9 strophes, un long aparté pour livrer son intimité et expliquer le retard de l’achèvement de son poème par 4 mois et demi d’extase amoureuse qui l’empêchèrent de terminer son travail :

 

 

 

Sans cela l’univers aurait eu mon poème

 

En mil huit cent vingt-neuf, et beaucoup plus tôt même.

 

 

 

Quand Gautier s’attarde sur l’atelier d’Albertus, on peut établir un parallèle avec le capharnaüm qu’est l’atelier de Frenhofer décrit par Balzac dans Le chef-d’œuvre inconnu. On y trouve des allusions au surnaturel, comme chez Balzac :  le génie artistique est donc, pour l’un comme pour l’autre, quelque chose de tellement bizarre qu’il en paraît divin, occulte en tout cas :

 

 

 

                                         — C’est un monde,

 

Un univers à part qui ne ressemble en rien

 

A notre monde à nous ; un monde fantastique,

 

Où tout parle aux regards, où tout est poétique,

 

Où l’art moderne brille à côté de l’ancien

 

 

 

La couleur particulière du poème tient aussi au lexique riche dont Gautier se sert avec art. Quand il nous donne à voir le décor de l’atelier, Gautier, après avoir nommé des peintres plus ou moins célèbres, y liste les objets bizarres qu’on y trouve, strophe LXXVII : Cuchillos, Kandjars, espingoles rondaches, Faussés, psaltérions… C’est l’occasion de convier la longue française à une fête où ressuscitent des mots perdus, oubliés, rares, que le poète fait se côtoyer dans ses vers avec jubilation.

 

Le poème est aussi un foisonnement de références artistiques et littéraires. Y abondent noms et œuvres d’artistes plus ou moins connus, dont beaucoup sont totalement oubliés aujourd’hui : Murr, Kreisler, Callot, Teniers, Titien, Goethe, Perugin, Cimabrié, Hemling, Young, Staub, Sontag, Malibran, Camargo, Puck, Meyerbeer, Bériot, Paganini, Shakespeare, Cellini, Héraclite, Giotto, Philine, Hugo, etc.

 

On a déjà vu que le poète s’autorise l’emploi de mots choquants (phallus) pour le lectorat sensible de la Monarchie de Juillet. Plusieurs passages s’en amusent. Lorsqu’il nous montre Albertus sur le point de céder à Véronique, Gautier met en garde le lecteur et surtout la lectrice que ce qui va suivre pourra les heurter, avec humour et une certaine volonté de provoquer :

 

 

 

XCVII

 

C’est ici que s’arrête en son style pudique,

 

Tout rouge d’embarras, le narrateur classique.

 

(…)

 

Moi qui ne suis pas prude, et qui n’ai pas de gaze

 

Ni de feuille de vigne à coller à ma phrase,

 

Je ne passerai rien (…)

 

(…)

 

Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles

 

Dont on coupe le pain en tartines — Mes vers

 

Sont des vers de jeune homme et non un catéchisme

 

— Je ne les châtre pas (…)

 

 

 

Dans les faits, la scène sexuelle, sans doute un peu osée pour l’époque, et particulièrement dans un cadre poétique, est très mesurée pour nos esprits éprouvés par l’abondance pornographique des sociétés actuelles. Ainsi lit-on une évocation des ébats de Véronique et Albertus marquée par :

 

 

 

Des cris de volupté, des rôles extatiques,

 

De longs soupirs mourants, des sanglots et des pleurs

 

(…)

 

                                               — L’alcôve est au pillage,

 

Le lit tremble et se plaint, le plaisir devient rage ;

 

— Ce ne sont que baisers et mouvements lascifs ;

 

Les bras autour des corps se crispent et se tordent,

 

L’œil s’allume, les dents s’entrechoquent et mordent,

 

Les seins bondissent convulsifs.

 

 

 

On le voit : Gautier, qui promettait de ne rien taire, a tu beaucoup de choses.

 

 

En somme, le poème, s’il a pu faire frissonner les plus sensibles, sous Louis-Philippe, paraît bien inoffensif aujourd’hui.  Il n’en reste pas moins intéressant : la verve de Gautier, l’art des vers qu’il pratique, déjà, avec une extrême habileté, son imagination et son sens de l’humour, distraient agréablement qui le lit, même si l’œuvre en soi semble mineure dans la production du poète. Ce qui est louable, surtout, c’est l’admirable clarté des vers dont la contraignante prosodie n’empêche pas Gautier de mener son récit avec adresse et fermeté.

 

 

© E. D.

 


Levez-vous du tombeau ; Jean-Pierre Siméon (2017)

 

Jean-Pierre Siméon, né en 1950, est un poète de premier plan. Auteur prolifique de recueils de poèmes et de pièces de théâtre, ce merveilleux praticien du vers libre a fait de sa passion un engagement : il est durant près de vingt ans directeur du Printemps des poètes.

 

C’est sur l’une de ses dernières œuvres parues, un merveilleux recueil de poèmes, que je m’attarde ici.

 

 

Après un prologue versifié où le poète appelle, pour combattre la laideur du monde, le règne de la poésie sur les esprits -─ poésie joliment vue, dans sa capacité à exprimer tout ce qui fait de l’homme un homme,  énergie ou douceur, ombre et lumière, tour à tour comme un « cheval de steppes » et une « poignée de mésanges jetées au vent » -─, Jean-Pierre Siméon, dans ce beau recueil placé sous le patronage légendaire d’un Orphée, père de la poésie, souvent évoqué, fait résonner les concordances verlainiennes entre paysage réel et paysage de l’âme : des rivières s’écoulent en nous, les vents nous rappellent que l’autre existe, les arbres sont des modèles de tranquille courage face à l’adversité… Le poète nous invite à entamer le chemin qui mène à l’autre, rencontre porteuse de sens et d’humanité. Il cherche aussi à susciter le réveil de la capacité de chacun, souvent enfouie, à s’émerveiller :

 

 

Tout ce qui nous appelle d’une voix d’or

 

(…)

 

Ö cela entendons-le parfois

 

(…)

 

vous de grâce qui dormez

 

dans un sommeil à triple tours

 

qui n’avez plus d’oreille

 

que pour votre sang captif

 

et dont les yeux absurdement ne voient

 

que leurs paupières

 

souvenez-vous des visiteurs de l’aube

 

(…)

 

un jour rien qu’un jour une heure seulement

 

levez-vous du tombeau

 

et avec eux

 

dans une joie brutale

 

chevauchez les vents

 

 

 

Le poète récuse aussi les préoccupations matérialistes de ses contemporains, matérialisme débordant perçu comme un enfermement et une diminution de soi-même :

 

 

ah comme jamais l’homme est clos !

 

il n’en veut qu’à ce qui se possède

 

il ne sait plus que tenir c’est renoncer

 

 

 

l’époque a trop de gestes or

 

quand l’arbre a trop de branches

 

la sève s’y égare

 

quand l’homme a trop de mains

 

l’âme y manque

 

 

 

Siméon encourage qui le lit à être toujours en mouvement et dans l’action, à toujours offrir son attention à l’autre, conditions nécessaires pour se sentir pleinement vivant :

 

 

qui a soif allons de vie je veux dire

 

du cri de la lumière

 

du geste qui vole à l’oiseau son vol

 

des nuits ramenées sur lui comme un drap

 

avec les étoiles et les arbres enfiévrés

 

 

 

celui-là éternel avant la mort

 

boit le monde

 

comme un vin de jouvence

 

 

 

Il s’agit de s’extirper de son atonie pour faire écho au monde et l’habiter pour de bon :

 

 

oser trouver en soi

 

l’idée le sentiment la saveur

 

d’un ciel immense

 

sur une mer déployée

 

 

 

un rythme d’aile dans le cœur

 

qui allège l’espace

 

 

 

non pas mourir au monde

 

mais renaître à soi-même

 

pour se donner raison

 

d’être au monde

 

 

 

Heureusement, Siméon refuse autant, pour ses vers, le plein soleil que l’ombre épaisse ; c’est dans un demi jour, suffisamment lumineux pour ne jamais perdre son attention, et suffisamment obombré pour ne pas lui paraître vain ou facile, que le lecteur se promène en lisant ce recueil de vers libres. On lit tel poème, en s’arrêtant à mi-chemin, le temps de relire la strophe ou le vers qui soudain vous interpellent, et l’on reprend sa lecture, réfléchissant déjà aux exhortations à peine lues, car le poète veut un lecteur actif, qui recompose en lui, selon sa propre sensibilité, le poème dans l’espoir de frayer le chemin où poète et lecteur peuvent se rejoindre.

 

 

L’ensemble est frémissant, quelquefois très lyrique (ô silence du monde / perdu comme une joie lointaine / fais-nous cortège encore /ô silence charnel) et, portant ces souhaits de perfectibilité et de communion humaine, certains passages étincellent, tant l’art du poète parvient à nous adresser ses messages avec une clarté qui s’accommode cependant d’une expression profonde et véritablement poétique.

Ainsi :

 

 

qu’est-ce donc que la poésie ?

 

parole d’homme faite oiseau

 

et dans cette parole montante

 

essor de l’homme en lui-même

 

au-dessus de lui-même

 

 

 

Ou encore :

 

 

un arbre comme un homme frissonne

 

sous le baiser du ciel

 

mais il n’a nul besoin de la fatalité d’un dieu

 

pour en tirer la force qui l’élève

 

 

 

© E. D.